Sarah Belmas : tintinophile bordelaise

La dessinatrice bordelaise Sarah Belmas a toujours de merveilleux mots pour nous parler de son enfance tintinophile. Chronique de vie.

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Bon, cela n’est plus un secret pour personne, je suis tintinophile. Mais avant de vous parler de Tintin et de Hergé, j’aimerais vous parler du fait d’aimer Tintin en étant une femme.

Un de mes amis tintinophiles m’a posé la question sur mon intérêt envers Tintin en tant que femme pour une émission radio sur laquelle il travaille. L’exercice était intéressant mais j’aurais souhaité le développer davantage. Vous savez que pour moi, cher lecteur, les mots pèsent plus et mieux quand ils sont écrits que lorsqu’ils sont parlés.

Que ressent une gamine entre 4 et 10 ans quand elle se plonge dans les aventures de Tintin ? La même chose qu’un garçon de son âge. Alors oui, les tintinophiles femmes sont rares. Mais vous le savez, dans le monde merveilleux de l’enfance, nous n’acquérons pas encore tous les codes, les stéréotypes de genre, et les attitudes qui les accompagnent.

Enfant, je n’étais donc pas choquée ni gênée en quoique ce soit que l’univers de Tintin soit imprégné uniquement d’hommes. Ces amitiés viriles me plaisaient, j’aimais courser les gangsters, les trafiquants de drogue avec Tintin. Gamine, dans mon jardin, je me prenais pour Tintin. Je relevais le pantalon pour en faire un pantalon de golf, je retroussais les manches, et je jouais à Tintin. J’étais Tintin.

« Tintin n’était pour moi ni un garçon, ni une fille, c’était Tintin, point barre. »

Tintin n’était pour moi ni un garçon, ni une fille, c’était Tintin, point barre. Je ne me posais pas la question de la place ou non des femmes dans le monde de Tintin et je ne rêvais pas d’une romance entre Tintin et une femme, pas plus que je ne rêvais d’une romance entre Tintin et Haddock comme cela a été le cas dans beaucoup de fan fictions et de fan-arts qui fleurissent sur le net.

Je n’ai jamais vraiment compris, pas plus aujourd’hui, ce fantasme des personnes qui désiraient placer l’amour et la sexualité dans l’univers de Tintin là où ils voulaient la voir. La sexualité doit-elle être montrée partout, tout le temps ? Dans notre société hyper-sexualisée, je me réjouis qu’il n’y ait pas une once de sexualité dans Tintin. Même pas sous entendue. Et pourtant, encore récemment, en relisant « L’Affaire Tournesol », je n’ai pu m’empêcher de penser, en revoyant cette case montrant la rencontre entre Bianca Castafiore et Haddock, que le bégaiement du vieux loup de mer en présence de la cantatrice ait traduit un trouble émotionnel particulier.

Enfant, je n’avais pas d’Internet, ni de téléphone portable. J’étais dans mon monde d’évasion entre Tintin la BD et Tintin, le dessin animé produit par Ellipse. Tintin me donnait gamine ce que j’ai perdu aujourd’hui mais qui commence à me revenir : le goût du voyage, de l’aventure. Tintin n’a peur de rien. Il se met en danger, pour la cause des opprimés, il combat l’injustice, ne cherche pas la gloire, juste à remettre les choses en place. Tintin n’a pas d’ego, il ne cherche ni les éloges, ni les récompenses, Tintin est chevaleresque mais se moque que l’attention soit sur lui. Il a un sens du devoir, de ce qui est juste. Peut-être ai-je hérité de lui sans m’en rendre compte ? Je recherche le juste, la droiture et la loyauté, j’en fais preuve du mieux que je peux. Mais j’ai peut-être aussi hérité des défauts de Tintin ; il est lisse, bien trop lisse. Pas de faux pas. Dans « L’ile Noire », ne le voit-on pas étendu sur la banquette de son siège de train avec un journal sous les pieds ? Il ne fume pas, ne boit pas. « Non merci, je ne bois jamais d’alcool. » Je ne refuse pas une petite bière à l’occasion mais ai-je commis un véritable faux pas ? De là à dire que je suis aussi lisse que Tintin, il n’y en a qu’un justement…

Tintin a été aussi une manière de me questionner sur mon genre plus tard. Petite, je ne me sentais pas petite fille. Je ne me sentais pas petit garçon non plus. Je n’étais ni l’un ni l’autre. Je garde des souvenirs très forts de mon enfance, et je me rappelle ce que c’était que de ne pas être imprégnée de tous ces codes sociaux, de genre, de stéréotypes. En devenant plus tard adolescente, et ensuite adulte, je me suis prise toutes ces étiquettes dans la figure. J’ai fait miens certains automatismes, me suis mise à regarder l’Autre et les Autres avec ces mêmes stéréotypes, endoctrinée bien malgré moi dans un système qui n’a jamais eu de cesse d’étiqueter les êtres. Mais ne nous égarons pas.

Aujourd’hui, à 33 ans, comment est-ce que je perçois Tintin ? Je me centre moins sur le reporter à la houppe et m’attarde davantage sur les autres personnages, moins lisses, moins parfaits que lui, en lesquels je me reconnais bien plus aujourd’hui. Le Capitaine Haddock avec son impulsivité, ses élans de maladresse mais sa loyauté tenace me le rendent davantage touchant. L’ingénieur Wolff, dont le sacrifice m’avait déjà tant bouleversé enfant, me renvoie à l’humanité de tout un chacun. Tintin, désormais plus jeune que moi, et oui, me touche, m’émeut autant qu’il peut parfois m’agacer. J’ai envie de le secouer, en lui disant de se décoincer un peu, d’être moins sage, et d’avoir un peu plus d’égo, plus de verve, plus d’humanité peut-être ? En parlant d’humanité. Lire « Tintin au Tibet » quand on est enfant n’est pas du tout la même chose que de le lire adulte. Mais ce sera le sujet d’un prochain article…

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