La célèbre Tintinette et dessinatrice bordelaise nous offre une chronique inspirante au nord de l’Himalaya, grâce à une belle aventure de Tintin
Tintin au Tibet : Sarah Belmas sur le toit du monde
Tout d’abord, résumons un peu l’aventure pour qui ne se souviendrait pas ou ne l’aurait pas lu, le tout sans commettre le moindre spoiler. Lors de vacances en montagne, Tintin rêve de son ami Tchang Tchong-Jen en danger suite à un accident d’avion. Il lui crie à l’aide, terrorisé. Tintin se réveille tout bouleversé. Le lendemain, notre jeune reporter apprend que son ami Tchang était dans un avion qui s’est récemment écrasé dans les montagnes du Tibet. Coïncidence troublante entre le rêve et la réalité. Persuadé que son ami est toujours en vie, Tintin décide de partir à sa recherche.
Vous l’avez compris, c’est l’album de Tintin le plus intime, le plus profond. Car dans cette aventure, il n’y a pas d’ennemis à poursuivre, pas de laissés pour compte à défendre. Pas de danger autre que celui des neiges éternelles dans lesquelles Tintin, Milou et Haddock vont s’engouffrer sans savoir ce qu’ils vont y trouver. Et le Migou ! Cet abominable homme des neiges dont la menace invisible plane au-dessus des têtes de nos vaillants aventuriers demeure le seul « ennemi » dont nos héros devront se protéger. Et pourtant …
Pour la conception de cet album, replaçons-nous dans le contexte. Hergé est dans une phase de sa vie très compliquée sur le plan personnel. Et ses rêves nocturnes ne sont teintés de rien d’autre que de blanc. Du blanc pur. Il consulte un psy, lui demande conseil. Ce dernier lui somme d’arrêter de travailler et de se reposer.
Hergé, obtus comme un marin d’eau douce dont nous connaissons le nom, n’en fait qu’à sa tête et décide, mille milliards de mille sabords, de ne pas écouter cet olibrius et se remet au travail. Que faire de ce blanc ? Autant l’exulter sur papier. Mais comment montrer le blanc, comment le sublimer ? En emmenant Tintin à l’autre bout du monde, sur les montagnes du Tibet à la recherche de son ami Tchang, dans ses neiges étendues à perte de vue.
Hergé plus tard, confessera au jeune Numa Sadoul¹ lors d’un entretien fleuve avec lui, que le blanc qui l’obsédait tant le renvoyait à cette pureté, cette intransigeance qu’il s’était imposée toute son existence de part, entre autres, son éducation rigoriste. Une droiture exemplaire et sans faille. Et il avouera alors, que la crise qu’il a vécue lui aura permis de s’accepter lui-même dans ce qu’il appelle son « pêché ». « J’ai accepté de ne pas être immaculé », conclut-il. Les rêves en blanc ont alors cessé de le hanter.
Revenons maintenant à notre reporter à la houppe. Rien ne lui prouve que son ami Tchang est toujours vivant. Aucun passager de l’avion n’a survécu. Et pourtant, Tintin est persuadé que Tchang a survécu. Son rêve était trop troublant. Un rêve prémonitoire ? Télépathique ? Nul ne le sait à ce moment. Pas même notre Tintin. C’est d’ailleurs un gros défaut qu’il a. Agir sans trop réfléchir. Mais en même temps, c’est une qualité énorme qui témoigne de la grandeur du cœur de notre reporter. Sur la base d’une intuition, il se rend à l’autre bout du monde pour sauver son ami. Haddock le suit dans son délire, d’abord réticent. Mais notre vieux loup de mer s’inspire de son jeune ami, et l’accompagne dans son périple, quitte à se sacrifier lui-même.
C’est ce que j’ai toujours trouvé beau et puissant dans les aventures de Tintin ; le sens de l’amitié et cette loyauté qui ne se discutent même pas. C’est naturel comme de respirer. Avec Tintin et Haddock, on n’abandonne pas un ami qu’on aime. On est prêt à affronter tous les obstacles, qu’ils soient dans les environs ou à l’autre bout du monde. On y va, on fonce, au péril de sa vie. Parce que rien n’est plus beau, n’est plus fort que la véritable amitié. On ne se pose pas de questions et on y va.
Tintin ne se laisse jamais influencer par l’extérieur. Il fait ce que nous avons tant de mal à faire dans nos vies aujourd’hui, il se fie à son intuition.
– Sarah Belmas
Tintin au Tibet était, à mes yeux de petite fille, une aventure comme une autre parmi celles de Tintin. J’étais subjuguée bien évidemment, mais je ne prenais pas conscience de la force de cette aventure. L’histoire autour du yéti me fascinait. Et puis plus tard, en relisant avec mes yeux de jeune trentenaire, j’ai été émue. Emue par ce lien d’amour qui unit Tintin à Tchang. Car dans l’amitié, il y a de l’amour et c’est bien l’amour qui meut Tintin à risquer sa peau sur la base d’une malheureuse intuition tant incertaine. Et l’émotion me monte aux yeux quand je vois l’acharnement de notre reporter.
Tintin, dans cet épisode, est un jusqu’au boutiste. Il tente tout. Il ne lâche pas tant qu’il n’a pas exploré toutes les pistes. C’est un un gamin têtu. Une tête de mule. J’en suis autant agacée que ce cher Archibald. Mais cela suscite aussi mon admiration et mon affection. Parce que Tintin ne se laisse jamais influencer par l’extérieur. Il fait ce que nous avons tant de mal à faire dans nos vies aujourd’hui, il se fie à son intuition et ce même si tous les avis s’opposent à ses décisions. Il n’impose à personne de le suivre. Ce sont Tarkey et les autres, émus par son courage et sa détermination qui décident de l’accompagner dans son excursion périlleuse.
Tintin au Tibet s’inscrit comme l’aventure la plus forte, la plus juste et la plus bouleversante tant elle met en avant, sans exacerbation, sans pathos, l’humilité du sacrifice et la fidélité forte et tenace qui relie les êtres dans leur amitié. Et si nous nous en inspirions ?
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