GEYSTER, nouvel album EUPHORIA

Frédéric décrypte l’ADN d’une œuvre électro éblouissante, où le musicien imagine un futur social apocalyptique

Geyster – Euphoria Part 1 (Dawning/Tunnel Of Love/We Can’t Dance Together – 2020)

Geyster alias Gaël Benyamin tient une recette imparable : des sons venus du jazz et un inséparable Fender Rhodes. Au-delà d’une empreinte sonore identifiable, l’auteur-compositeur-interprète et producteur rend hommage à l’ambiance électro-disco cosmique et excentrique des seventies, ou quand «  Supernature  » rencontre «  Oxygène  » dans une ambiance apocalyptique. Pourtant, quelque part, enfoui sous des séquences électroniques nerveuses, à l’instar de Moroder, l’esprit de la musique Westcoast n’est jamais très loin.

Si vous prenez le temps d’écouter sans interruption l’intégralité de l’album, vous vous rendrez compte que le talent de Geyster ne se niche pas dans des tours de force d’effets sonores, mais dans sa façon de se servir de sa musique pour raconter une histoire, pour créer un récit musical d’une grande profondeur. Euphoria ne s’est donc pas fait le temps d’un trajet Nogent-sur-Marne vers Châtelet-Les-Halles. Il s’agit bien ici de l’émergence d’une accumulation d’expériences, d’un constat sur la circulation de l’information et du comportement formaté des individus derrière leurs écrans de fumée. C’est une vraie tragédie qui a pris forme et son au fil du temps.

« Nous sommes désormais habités par la quête de l’euphorie permanente, du bonheur instantané, l’obsession de l’instant présent, le maintenant ou jamais »

Gaël Benyamin

Avec ses pulsations électroniques, ses gémissements non cryptés qui dépassent la performance de miss Summer époque « Love to love you baby » sur « We can’t dance together« , un titre qui marque une distanciation sociale de circonstance, Euphoria est un disque interrogateur sur le No Future.

En effet, Gaël Benyamin évoque ses craintes de citoyen du monde, peu rassuré par la tournure que prend ses nouveaux gadgets séduisants qui instrumentalisent en un clin d’œil le destin de l’Humanité. “Nous sommes désormais habités par la quête de l’euphorie permanente, du bonheur instantané, l’obsession de l’instant présent, le maintenant ou jamais. Et nous mettons chaque jour en œuvre des moyens techniques et technologiques qui permettent d’accéder à un carpe diem artificiel, et ce, dans un contexte apocalyptique”, déclare le musicien. 

L’album est découpé en trois actes. À l’image du monde, il alterne obscurité et lumière du premier au deuxième acte. L’homme ne réfléchit pas aux conséquences de ses actes et préfère se réfugier dans une vie artificiellement extraordinaire, euphorique et dangereusement belle. Toute période post-révolution est accompagnée d’une première phase d’excès avant qu’un juste-milieu ne soit trouvé. Fin du troisième acte.

L’histoire d’Euphoria  se focalise sur l’accélération fulgurante des moyens d’échanges et de communication

Ça n’est pas la première fois qu’un musicien utilise l’électronique pour nous inciter à réfléchir sur l’homme et sur le monde. En 1973, le virtuose Grec Vangelis révolutionne le paysage musical avec « l’Apocalypse des animaux », véritable magie de synthétiseurs analogiques, de percussions africaines et d’instruments acoustiques, mais aussi une ode à la nature et une complainte intemporelle de la terre. L’année 1976, Jean-Michel Jarre nous avait également ébloui avec « Oxygène », une œuvre électronique auréolée d’un succès immense. Ce fut une prise de conscience du risque écologique de l’homme envers la nature. 

Alors que les prévisions écologiques font déjà la Une des magazines en 1977, Cerrone évoque « l’Île du docteur Moreau » dans « Supernature ». Son opus disco-futuriste est inspiré par H. G. Wells qui avait prédit que la science permettrait un jour de transformer la matière, y compris la matière vivante. L’écrivain britannique pensait aussi qu’il était temps de réfléchir à l’éthique de telles pratiques. Jean-Marc Cerrone est toujours préoccupé par l’impact de l’homme sur son environnement et a publié DNA en 2O20, un album électro qui reprend le discours poignant de la primatologue et ethnologue Jane Goodall sur le titre « Impact ». 

Aujourd’hui, Geyster explore à son tour les conséquences de la technologie numérique sur les comportements relationnels et « l’accélération fulgurante des moyens d’échanges et de communication ». Un traitement incontestablement original. À l’instar des albums cités précédemment et d’un point de vue musical, l’album revisite par de nombreuses touches les années soixante-dix, où l’on était déjà en pleine expérimentation des synthétiseurs comme le Fender Rodhes.

Il y a une esthétique de fin de monde. Comme si la boucle s’était bouclée et qu’on était retourné au début de l’Humanité

La photo qui illustre Euphoria a un côté provocateur, sexy et esthétique comme on pouvait le faire sans sourciller, une fois encore, dans les années 70. À l’image de la pochette de “How much, how much I love you” du groupe disco Love and Kisses en 1978, la demoiselle chevauche ici non pas un cheval à l’allure ibérique, mais une autruche mâle, un oiseau considéré comme dangereux, rapide mais incapable de voler. Il y a une esthétique de fin de monde. Comme si la boucle s’était bouclée et qu’on était retourné au début de l’Humanité.

Euphoria est un album electro-apocalyptique réussi, mélodique et aérien, à la fois troublant, enivrant et relaxant. Il trouvera sa place dans votre précieuse collection de vinyles, jusqu’à la fin des temps. 

Pochette créative réalisée par Olivier Boscovitch

Date de sortie : 10 Novembre 2020 (au format vinyle exclusivement + album numérique, depuis le Bandcamp de Geyster) Site web : https://geyster.bandcamp.com | Label : SomekindRecords

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© Euphoria Part 1 : Written, performed and produced by Gael Benyamin, except « We Can’t Dance Together » written by Gael Benyamin & P.-M. Aboulker. Lead vocals by Gael Benyamin. Backing vocals by Fraise Marowski, Maeva Borzakian & Olivier Boscovitch. Video directed by Olivier Boscovitch.Tracks taken from the forthcoming album « Euphoria » out November 10th 2020 on vinyl LP. ℗ & © 2020 Somekind Records. (Article mis à jour le 11/11/2020)