Restez chez vous et lisez !

Le meilleur moyen de vivre ce confinement est aussi l’occasion de prendre le temps d’ouvrir un livre. Pourquoi ne pas réapprendre à laisser courir son imaginaire au gré du silence ?

À l’heure où La Peste d’Albert Camus connaît un regain de popularité, il n’est pas inutile de se demander si la lecture ne serait pas, au fond, le meilleur moyen de vivre ce douloureux confinement. Entre inquiétude existentielle, chaînes d’information anxiogènes et peur de l’invisible, peut-être que le livre, objet rassurant et ouvert à tous les possibles, pourrait devenir la clé d’une certaine sérénité. En effet, Montesquieu en avait déjà expérimenté les vertus consolatrices, lui qui n’a « jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. »

« Pourquoi ne pas réapprendre à laisser courir son imaginaire au gré du silence ? »

La solitude est certainement la plus grande crainte. Se retrouver confiné avec un livre. Certains y entrevoient les portes d’un Éden luxuriant, tandis que d’autres claquent déjà des dents à l’idée d’une compagnie si silencieuse, si mortellement muette. Alors, pourquoi ne pas réapprendre à laisser courir son imaginaire au gré du silence ? Milan Kundera, fieffé ennemi de l’agitation humaine, ne s’y est pas trompé en écrivant que le « roman est ennemi de la vitesse, la lecture doit être lente et le lecteur doit rester sous le charme d’une page, d’un paragraphe, d’une phrase même ». Quelle idée ! Serait-il pourtant si pénible d’essayer de détendre un esprit trop encombré de bruits et de vacarmes ?

Les livres sont loin d’être si silencieux qu’ils en ont l’air, si calmes qu’ils veulent bien paraître. Ils soulèvent de véritables tempêtes intérieures chez les plus grands sensibles. Comme chez ce cher Gustave Flaubert qui déclare à Mme Roger des Genettes : « Ces lectures m’ont plongé dans une atroce mélancolie ! ». Rassurons-nous, si le loup solitaire de Croisset est à ce point ému, c’est parce que ses lectures ne sont point récréatives. C’est un bourreau de travail, qui se gorge d’ouvrages scientifiques, à en vomir, afin de parfaire ses romans.

« Le pouvoir d’abstraction de la lecture »

Gardons-nous d’en faire autant et tentons, au mieux, de nous prémunir de l’anxiété ambiante en nous rappelant ce magnifique passage d’ À la Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust où le narrateur se rend compte, avec étourdissement et volupté, du pouvoir d’abstraction de la lecture :

« Quelquefois même cette heure prématurée sonnait deux coups de plus que la dernière ; il y en avait donc une que je n’avais pas entendue, quelque chose qui avait eu lieu n’avait pas eu lieu pour moi ; l’intérêt de la lecture, magique comme un sommeil profond, avait donné le change à mes oreilles hallucinées et effacé la cloche d’or sur la surface azurée du silence. » (Du Côté de chez Swann)

Si ce confinement est l’occasion de prendre le temps d’ouvrir un livre, dites-vous que le bonheur réside potentiellement dans ce geste simple de tourner des pages. Peut-être vous direz-vous alors, comme Jules Renard : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »


Photo bibliothèque arrière plan : Merci Lubos Houska de Pixabay