Portraits de trois femmes libres

Pour lutter contre l’enfermement, rien de mieux que de parcourir les œuvres de trois grandes dames de la littérature française éprises de liberté.

À l’heure où la lecture pourrait bien devenir une des activités favorites, pourquoi ne relirions-nous pas trois grandes écrivaines ? Parfois injustement oubliées, elles font désormais l’objet d’études universitaires poussées et reviennent à la lumière de notre siècle épris de liberté et d’une certaine nostalgie de l’héroïsme d’antan. Alliance d’une grande liberté de réflexion et d’un courage défiant les règles établies, ces trois femmes laissent dans leurs romans et dans leurs poèmes, les vibrations d’une révolte qui poursuit sa route de nos jours.

« J’ai quatre ennemis, la Prusse, la Russie, l’Angleterre et Madame de Staël »
– Napoléon

Qui peut se targuer d’avoir défié Napoléon, l’homme le plus craint du début du XIXe siècle, conquérant hargneux et assoiffé de pouvoir ? Il y répond lui-même : « J’ai quatre ennemis, la Prusse, la Russie, l’Angleterre et Madame de Staël ». Ainsi, Germaine faisait-elle trembler le puissant Empereur, excédé par ses écrits libertaires et ses attaques répétées dans les salons mondains. Perçue comme une menace perpétuelle, la fille de Necker, ancien ministre des Finances de Louis XVI, dût s’exiler en Suisse dans son château de Coppet afin d’échapper à la fureur de l’Aigle. On lui doit ce fameux mot, délicieusement impertinent et profondément irrévérencieux, envers son détracteur acharné : « Un seul homme de moins et le monde serait en repos. » Ses écrits, comme Delphine ou Corinne ou l’Italie (folio classique), vastes romans universels, sont les vecteurs de sa pensée profondément éprise de libertés. Elle y construit des portraits de femmes en butée contre les restrictions de leur temps, notamment celui de Delphine.

« 40 000 lettres qu’elle a écrites infatigablement durant toute sa vie »

Une autre grande dame des lettres françaises a dû essuyer bien des revers de la part de ses chers compagnons de route comme Charles Baudelaire, pas réellement conquis par son talent : « Que quelques hommes aient pu s’amouracher de cette latrine, c’est bien la preuve de l’abaissement des hommes de ce siècle ». La comparaison avec le petit coin est peu flatteuse et la jeune Aurore Dupin n’aura de cesse de montrer, au contraire, qu’elle se hisse bien au-delà de la cuvette. Ses romans se vendent avec une rapidité déconcertante et ses conquêtes masculines sont légion, et pas des moindres : Musset et ses formidables scènes de jalousie ou encore Chopin et sa délicatesse exaspérante. Portant le pantalon et le chapeau haut-de-forme, acrobate de l’amour, libre comme l’air, socialiste, la jeune femme est autrement mieux connue sous son pseudonyme aux sonorités masculines trompeuses : George Sand. Gustave Flaubert devient son plus fidèle ami avec qui elle entreprend l’une des plus belles correspondances qui soient, parmi les 40.000 lettres qu’elle a écrites infatigablement durant toute sa vie. Petit avant-goût : alors qu’il souhaite « faire de l’exercice » pour se dégourdir l’esprit et se secouer de sa mélancolie, comme l’avait chaudement recommandé sa bonne amie de Nohant, « sa chère maître », voilà qu’il lui révèle avoir marché plusieurs fois en pleine nuit, au coeur de l’hiver. George Sand ne tarde pas à lui répondre, réprobatrice mais drôle à souhait : « Toi, cher, tu te promènes dans la neige, la nuit. Voilà qui, pour une sortie exceptionnelle, est assez fou et pourrait bien te rendre malade aussi. Ce n’est pas la lune, c’est le soleil que je te conseillais ; nous ne sommes pas des chouettes, que diable !». Une correspondance à consommer sans aucune forme de modération (sortie en poche chez Le Passeur), mais également ses romans tels que Indiana, Les Maîtres-Sonneurs ou encore Mauprat.

« Une poétesse passée dans le ciel de la littérature tel un fulgurant météore »

La dernière a fui les rigueurs de la morale victorienne à 22 ans pour se réfugier à Paris en 1899. Après le décès de son père. Renée Vivien, de son vrai nom Mary Pauline Tarn, alors majeure, hérite d’une fortune conséquente et s’achète un appartement au 23, Avenue du Bois de Boulogne, dans l’actuel 16e arrondissement, qu’elle décore avec le goût des soieries orientales, des bibelots japonisants furieusement à la mode en cette fin du XIXe siècle, des bouddhas languissamment assoupis sur les meubles aux courbes baroques, des rideaux en velours épais, et d’autres fantaisies. Volontiers excentrique, étrange ou fantasque, son existence de recluse a donné lieu à de nombreuses rumeurs plus ou moins morbides alors que « la dame aux violettes » — sa fleur préférée, en souvenir de Violet Shillito, sa meilleure amie d’enfance décédée prématurément — noircissait des cahiers entiers de poèmes dédiés à un amour perdu. En effet, son destin bascule avec la rencontre d’une riche héritière américaine au charme ravageur, Natalie Clifford Barney. Elles connaissent une histoire ardente et passionnée avant que Renée Vivien ne décide de rompre, ne souhaitant plus souffrir les infidélités répétées de son amante, surnommée à juste titre, « l’Amazone » (Poèmes choisis, éditions Points poésie). Foudroyée par cette rupture inévitable et malheureuse, la jeune femme sombre alors dans l’alcoolisme et l’anorexie avant de s’éteindre d’inanition à l’âge de 32 ans. Son homosexualité revendiquée, sa poésie aux accents autobiographiques si forts et sa personnalité hors-du-commun font de cette poétesse, passée dans le ciel de la littérature tel un fulgurant météore, une des figures féminines (et féministes) les plus intenses du début du XXe siècle. « Muse inquiète et mélancolique », elle continue d’être vénérée par un petit cercle d’amoureux, et surtout d’amoureuses, qui viennent encore fleurir sa tombe de quelques bouquets de violettes.

Une partie des oeuvres romanesques de Germaine de Staël ainsi que de George Sand sont disponibles chez Folio, sans oublier la correspondance entre cette dernière et Gustave Flaubert intitulée « Tu aimes trop la littérature, elle te tuera » disponible chez Le Passeur. Enfin, les poèmes de Renée Vivien sont accessibles via des éditions plus rares, mais l’ensemble de ses recueils sont disponibles sur Internet. Toutefois, une belle anthologie de quelques-uns de ses plus beaux poèmes existe en poche chez Points.

Bonnes lectures !


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