Tristan propose la deuxième partie d’une chronique publiée sous la forme d’un triptyque : trois facettes différentes de l’automne.
L’automne : les demi-teintes d’une saison poétique 2/3
« Les feuilles dans le vent courent comme des folles »
Anna de Noailles
2/3 : Sensualité et suavité
Gardons-nous de percevoir l’automne comme une saison uniquement tournée vers la tristesse et le néant ! Les derniers feux de l’été persistent et sa sensualité marquée de couleurs chaudes n’est pas toujours synonyme de finitude. En effet, la personnification des paysages en une magnifique femme rousse est chère aux artistes de la seconde moitié du 19e siècle qui y voyaient souvent l’incarnation du mystère d’une nature envoûtante associé à une sensualité équivoque. La femme à la chevelure dorée, superbe nymphe antique, du goût de l’époque, hante les rêveries charnelles de Renée Vivien :
La Bacchante représente les pulsions vitales, notamment sexuelles, portées à leur paroxysme avant de s’éteindre dans les feux du couchant, souvent associés à l’idée de l’anéantissement des choses et de la mort des êtres. Toutefois, l’humeur reste à la fête ! La créature mythologique se pâme, exhale des souffles de plaisir et paraît s’épanouir dans les restes d’une orgie avant la venue du glacial hiver. Derniers plaisirs charnels avant que la neige n’anéantisse tout surgissement du désir. Le printemps, toutefois, soufflera de nouveau sur les braises de ces amours défuntes.
Dans la continuité de l’image d’un automne suave et langoureux, les poètes n’hésitent pas à prêter une forte vigueur à cette saison habituellement perçue comme déliquescente. Les métaphores sensuelles et autres fantasmes délicatement indécents ne manquent pas de jalonner leurs écrits (nous vous laissons en juger, peut-être avons-nous l’esprit mal tourné !). Ainsi, Sully Prudhomme évoque à grands renforts de verbes évocateurs l’élargissement des tissus d’une vigne splendide au meilleur de sa forme :
Ces grappes mûres ne manquent pas d’éveiller les appétits. La sensualité des fruits, ronds et juteux, est bien connue, autant en littérature qu’en peinture. Ondine Valmore, fille de Marceline Desbordes-Valmore, célèbre poétesse connue pour sa poésie mélancolique, est autrement plus guillerette que sa mère lorsqu’elle chante l’automne et poursuit cette idée d’une sensualité fruitière débordante :
Charles Cros, n’y tenant plus, ne suit pas la métaphore jusqu’au bout et en révèle les dessous !
Métaphore convenue, les seins de la femme sont très souvent comparés aux fruits mûrs de l’automne. Il s’agit d’un véritable triomphe du corps féminin, épanoui et auréolé d’un charme absolu. La fécondité est également une des lectures possibles de cette attribution nourricière au corps féminin. Entre désir de possession sensuelle et glorification imagée d’une saison pleine de vigueur, le fruit (notamment le raisin) est une image récurrente de la poésie automnale. De plus, l’ivresse que ses grappes suscitent double l’affolement des sens du poète.
Baudelaire ne souhaitait pas autre chose pour ses lecteurs.rices lorsqu’il écrivait fiévreusement « […] enivrez-vous sans cesse ! »
Pas si triste, l’automne…
Quelques recueils de poèmes à consulter :
- Cendres et Poussières de Renée Vivien (1902)
- Les Vaines Tendresses de Sully Prudhomme (1875)
- Le Coffret de santal de Charles Cros (1879)
Tableau en illustration : Marc-Charles-Gabriel Gleyre, Public domain, via Wikimedia Commons