La chronique littéraire de Tristan

Dans sa nouvelle chronique littéraire toujours créative, Tristan exhorte le lecteur à sortir de la culpabilité des livres non-lus.

« Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »

Jules Renard

Cette citation bien connue de Jules Renard pourrait être des plus réconfortantes pour un lecteur avide de savourer l’étendue des romans qui lui reste à parcourir si, dans le même instant, un sinueux sentiment de désespoir ne venait pas saper cet heureux élan vital. 

En effet, combien de fois n’ai-je pas été pris de vertige devant l’étendue des lectures à venir ? Le simple fait de pousser la porte d’une librairie bien achalandée participe à nourrir l’angoisse subreptice qui se loge dans le coin de mon cerveau de lecteur déjà désemparé devant la tâche à accomplir – et qui, ne soyons pas naïfs, ne s’accomplira jamais. Que faire de ce douloureux constat d’échec ? Continuer à lire, malgré tout ?

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, m’a permis, en partie, de me débarrasser de certains scrupules

Ouvrir le rassurant – et irrévérencieux – essai de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, m’a permis, en partie, de me débarrasser de certains scrupules et de me méfier de la culpabilité prédatrice qui se cache derrière l’angoisse de ne pas avoir lu tel classique, de ne toujours pas avoir ouvert tel chef d’oeuvre, de ne pas avoir jeté un oeil sur tel recueil poétique, de ne pas avoir fait la vaisselle. Car oui, ces choses-là sont similaires et ne doivent pas nous déborder. Elles sont à faire, si elles se font. Dans le cas contraire, la vaisselle s’entasse, la pile à lire également. Et puis quoi ? Ne sommes-nous pas tout autant heureux de boire notre café dans la sempiternelle même tasse ébréchée ou de relire le même roman qui nous fait sortir du cercle étroit du monde pour nous évader à chaque fois que nous parcourons pour la dixième fois ses pages enchanteresses ?

Ce que je souhaite établir ici, c’est l’idée d’une liaison qui se fait parce qu’elle a été plus ou moins choisie, ou qu’elle a été l’heureux fruit d’un hasard. Les injonctions à connaître tel ouvrage plutôt que tel autre, à avoir lu tel auteur au risque de passer pour la lie des lecteurs si le sacro-saint romancier contemporain n’a pas été approché, à citer sur le bout des doigts trois vers du poète national – tout cela n’a que trop tendance à bloquer nos intelligences et notre créativité, point sur lequel Pierre Bayard conclut son ouvrage. 

En effet, après avoir exhorté le lecteur à sortir de cette culpabilité des livres non-lus et à pouvoir tout de même en parler afin de laisser libre-cours à sa créativité, il écrit : « Cette création marque un pas de plus dans la conquête de soi et dans la libération du poids de la culture, laquelle est souvent, pour ceux qui n’ont pas été formés à la maîtriser, empêchement à être, et donc à donner la vie à des oeuvres. »


Pierre BAYARD, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Les Éditions de Minuit, 2007.