L’automne : les demi-teintes d’une saison poétique 3/3

Tristan présente la dernière partie d’une chronique automnale publiée sous forme d’un triptyque.

« Les feuilles dans le vent courent comme des folles »

Anna de Noailles

3/3 : Derniers éclats

Avant l’extinction dans la mélancolie hivernale et l’anéantissement de toutes choses qui l’accompagnent, l’automne peut être le lieu privilégié des derniers enthousiasmes. Lumière dorée, nature taquine, volontiers joueuse, ou encore parfums entêtants, il reste une période marquée par la vivacité. C’est ce récit de la fin d’une fête, encore palpitante de joie, que nous nous proposons d’aborder dans ce dernier volet du triptyque. 

Anna de Noailles s’amuse de cette période de l’année : « Voici venu le froid radieux de septembre : / Le vent voudrait entrer et jouer dans les chambres. ». La nature malicieuse et les éléments qui la composent, qui seront bientôt porteurs de mort (le vent, la neige, les pluies) demeurent, encore un instant, complices de la joie de vivre. C’est l’arrivée du bouleversement climatique à venir qui paraît conditionner ses ultimes instants de jeu par un climat encore chaleureux. Ce sont les tressaillements du bonheur avant l’anéantissement. C’est encore notre gracieuse poétesse qui déclame : « Les feuilles dans le vent courent comme des folles » et qui utilise la formule contradictoire du « froid radieux de septembre »

« Les couchants orangés et les éclats intenses des feuilles mortes dans les sous-bois n’ont de cesse d’accompagner cette incarnation charnelle, cette muse poétique rousse »

Les caprices de la brise automnale ébouriffent les vers d’Henriette Willette pour qui « [l]’automne est beau comme une belle femme rousse / Toutes les feuilles d’or, tels de grands papillons, / Lourdement tombent et volent en tourbillons / Sous le vent qui gémit, qui pleure et se courrouce. » De nouveau, la figure de la femme aux cheveux rouges fait écho aux reflets dorés de la saison et semble être le paroxysme du flamboiement que les couleurs de l’automne inspirent. En effet, les lumières jaunes, les couchants orangés et les éclats intenses des feuilles mortes dans les sous-bois n’ont de cesse d’accompagner cette incarnation charnelle, cette muse poétique rousse. 

Pour Chateaubriand, la saison des feuilles mortes conserve une grande vitalité grâce à la récolte des fruits mûrs, juteux et épanouis : « Mais des nuits d’automne / Goûtons les douceurs ; / Qu’aux aimables fleurs / Succède Pomone. ». Pomone est une divinité romaine occupée de fruits, elle en est la splendide incarnation. L’automne est une période particulièrement féconde et elle poursuit les éclats de l’été. Le mûrissement des fruits, comme nous l’avons vu dans l’article précédent, accompagne généralement une perception toute érotique de l’automne, mais il est aussi un signe d’abondance. 

Chez les Romantiques, fervents adorateurs de la mélancolie en milieux naturels, l’automne joue un rôle cathartique réconfortant. La nature agit comme un reflet de leurs émotions. Ce dialogue privilégié avec les éléments, les paysages et les saisons leur permet de s’épancher pleinement sur leurs drames intimes, souvent amoureux. Ainsi Alphonse de Lamartine s’enthousiasme : « L’air est si parfumé ! la lumière est si pure ! / Aux regards d’un mourant le soleil est si beau ! » Toutefois, comme de nombreux poètes de sa génération, la tentation du suicide n’est jamais bien loin. Et l’automne revêt alors une atmosphère propice à l’expression des sentiments larmoyants et aux spleens mortifères. On y revient toujours ! Sinistre saison, en définitive ?

« Rêvons… le feu s’allume et la bise chantonne »

Albert Samain

Non, certains y trouvent du réconfort en se blottissant devant la cheminée comme Albert Samain se réchauffant à la douce chaleur du foyer qui crépite : « Octobre est doux. – L’hiver pèlerin s’achemine / Au ciel où la dernière hirondelle s’étonne. / Rêvons… le feu s’allume et la bise chantonne. / Rêvons… le feu s’endort sous sa cendre d’hermine. » Nous avons pensé que cette alliance de l’automne et de la rêverie serait une jolie conclusion à ce triptyque, pleine d’espoir et de douceur à venir.

Bel automne à toutes et à tous.


Quelques recueils de poèmes à consulter :

• Les Lys d’eau (1922) – Henriette Willette
• Le Coeur innombrable (1919) – Anna de Noailles
• Au Jardin de l’infante (1893)- Albert Samain

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