Chaque semaine, l’auteur aborde une facette différente de l’automne en poésie.
L’automne : les demi-teintes d’une saison poétique 1/3
« Les feuilles dans le vent courent comme des folles »
Anna de Noailles
1/3 : mélancolie et introspection
Je vous propose, en ce mois de novembre tumultueux, de nous recueillir autour du thème de l’automne en compagnie de plusieurs poétesses et écrivains. Cette visite sera déclinée en trois volets. Entre douceur des derniers rayons du soir et mélancolie des arbres qui se dénudent, plongeons au coeur d’une saison chère à chacun(e) pour des raisons que les écrivain(e)s n’ont eu de cesse de décliner dans leurs oeuvres pour notre plus grand plaisir.
L’automne, c’est peut-être, en premier lieu, un imaginaire collectif. L’évocation de cette saison finissante, après les grands flamboiements de l’été, ce que Baudelaire nomme « la vive clarté de nos étés trop courts ! », inspire généralement l’image des feuilles qui se décrochent, tourbillonnent dans l’air devenu froid et se déposent doucement en un épais tapis mordoré dans les sous-bois. Marie Krysinska les appelle tendrement les « tristes mortes » : « Emportées par le vent qui les fait tourbillonner éperdûment, / Elles passent avec un bruit chuchoteur et plein de souvenirs. ». La nostalgie des moments passés n’a de cesse de parcourir les vers de nombreux poètes attachés à l’idée de l’ensevelissement des jours heureux par le retour du froid et du mauvais temps.
Albert Samain, poète des crépuscules mélancoliques, est particulièrement sensible à l’automne et à son « vent tourbillonnant, qui rabat les volets, / Là-bas tord la forêt comme une chevelure ». Le soulèvement soudain des éléments, après le calme torride du mois d’août, ouvre une réflexion nostalgique sur les souvenirs voués à la disparition. Le mauvais temps automnal est responsable de « toutes les splendeurs saccagées » et « [d]es chères extases défuntes, / Et [d]es serments d’amour – oubliés. », selon Marie Krysinska.
Une préoccupation hante tout particulièrement nos poètes à l’approche de cette saison humide et venteuse. Il s’agit du flétrissement des fleurs. Symboles de la vie par excellence, des sentiments exaltés et du bouillonnement vital de la belle saison, les fleurs périssent inéluctablement dans les poèmes automnaux. Les lamentations du poète à l’égard de cette inexorable agonie sont souvent déchirantes. Albert Samain déplore la disparition de ces joyaux de la nature : « Et voici que s’afflige avec plus de ferveur / Le tendre désespoir des roses envolées. », de même que Marie Krysinska pour laquelle le vent froid est destructeur, « [s]onnant le glas pour les violettes mortes et pour les fougères, / Célébrant les funérailles des gardénias et des chèvrefeuilles. ». Alphonse de Lamartine s’éprend aussi des dernières beautés florales avant leur extinction définitive tels des soldats tombés au combat : « La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ; / A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ».
« Je me souviens / Des jours anciens / Et je pleure »
Paul Verlaine
Lieu commun habituel de la littérature, l’automne porte la marque d’une mélancolie tiraillée entre les réminiscences joyeuses d’un été vigoureux et l’assombrissement hivernal à venir. L’entre-deux sonne comme une ultime fête avant que le rideau ne tombe définitivement sur des joies désormais anciennes. Ainsi, Paul Verlaine, dans sa célèbre « Chanson d’automne » se lamente : « Je me souviens / Des jours anciens / Et je pleure ». La chanteuse Barbara en fait le temps idéal pour se rappeler de ses amours d’antan dans « Septembre » : « Beau temps pour un chagrin que ce temps couleur d’ombre. » Peut-être la saison suivante sera-t-elle davantage propice à la renaissance de toutes ces choses à l’agonie ? « L’amour nous reviendra peut-être. / Peut-être un soir, au détour d’un printemps ».
Et vous, l’automne vous rend-il aussi mélancolique ?
Quelques recueils de poèmes à consulter (avec un plaid) :
- Études et préludes de Renée Vivien (1901)
- Rythmes pittoresques de Marie Krysinska (1890)
- Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire (1857)
- Le Chariot d’Or d’Albert Samain (1894)
- Méditations poétiques d’Alphonse de Lamartine (1820)
Rappelons que « La Chanson de l’Automne » de Verlaine a été reprise et personnalisée par Serge Gainsbourg pour son titre sublime et cultissime: « Je suis venu te dire que je m’en vais. »
Je l’ignorais, merci beaucoup, chère amie, pour tes éclairages toujours passionnants !
Je te remercie pour ce gentil commentaire et ta lecture, Julien !
Cela m’incite à continuer à déposer, par-ci, par-là, d’autres morceaux de poèmes…
Bravo Tristan, ta chronique remporte un beau succès. Nous attendons la deuxième partie avec impatience.
Merci pour ta confiance, Fred ! J’en suis ravi !
Merci pour ton regard sur cette saison !
Quel plaisir de découvrir ou redécouvrir ces auteurs, et les jolis mots qu’ils ont consacrés à l’automne.
Je me permettrai, en toute humilité, d’ajouter ceux de John Keats qui ouvre son « Ôde à l’automne » par la plus poétique des définitions, « saison de brumes et de moelleuse abondance » et qui en expose magistralement la mélancolie à travers, notamment ces vers :
« Quelquefois, telle une glaneuse, tu portes droite
Ta tête chargée de gerbes en passant un ruisseau,
Ou encore, près d’un pressoir à cidre, tes yeux patients
Regardent suinter les dernières gouttes pendant des heures et des heures.
Où sont les chants du printemps ? Oui, où sont-ils ?
N’y pense plus, tu as aussi tes harmonies :
Pendant que de longues nuées fleurissent le jour qui mollement se meurt,
Et nuancent d’une teinte vermeille les chaumes de la plaine, »
Cher Sofian,
Merci mille fois pour tes mots (et ta fidélité de lecteur, cela m’enchante) et pour ce délicat partage de Keats. C’est superbe… quelle ambiance !
Au plaisir de te lire,
Tristan
Merci pour cet article enchanteur, qui met à l’honneur une saison chère à mon cœur et des autrices et auteurs dont la plume ne m’est pas toujours familière. Hâte de lire la deuxième partie !
Merci mille fois pour ta lecture enthousiaste, chère amie, amoureuse des mots !
Promenade automnale très intéressante, mais j’ai été surpris de ne pas y croiser le grand Apollinaire, poète de l’automne s’il en est: « ma saison mentale », dit-il dans Alcools… Puis il y a ce vers superbe de Baudelaire: « Vois êtes un beau ciel d’automne, clair et rose! » Merci en tous cas pour ce bel article…
Merci beaucoup, cher Monsieur Hugotte, pour votre lecture. Je suis très touché.
Vous avez raison, Apollinaire mériterait une pleine place sous ce thème automnal ! J’aimerais l’inclure dans les deux prochains articles. Quant à Baudelaire… merci mille fois pour ce magnifique vers…
Un très joli article pour un premier aspect de l’automne. Les couleurs et les temps de cette saison naissent dès les premiers mots et l’hétérogénéité des auteurs cités est très agréable, en plus de faire découvrir des écrivaines et écrivains inconnu.e.s. Merci !
Merci beaucoup Julien pour ce très gentil et encourageant message ! J’espère que tu prendras autant de plaisir pour les deux suivants (à venir très vite) !